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Ici encore, aux Canaries, des vents défavorables nous retardent un peu plus.
Je suis les GRIB jour après jour pour saisir la bonne fenêtre météo. Trouver le moment où les vents deviennent favorables pour plusieurs jours successifs. C’est tout bon : à partir du mardi 12 décembre. Il est annoncé 20 nœuds pendant trois jours, puis 15 ensuite, avec un vent qui nous pousse vers le sud-ouest au Nord-ouest du Cap Vert. J’ai pu rêver un instant (les équipiers aussi) de repasser (cela aurait fait 5 fois) dans ces îles un peu magiques. Mais les retards cumulés depuis notre départ de Villefranche nous poussent à faire route directe. Environ 2 900 Miles (X 1,8 pour ceux qui pensent mieux en Km) en faisant une grande courbe pour assurer de rester dans le vent favorable des Alizés, bien installés à cette époque de l’année.
Mes amis Claude, Martine et François, m’avait bien prévenu que cela pouvait souffler plus fort avec l’effet venturi entre les îles. Je n’ai pas pris de ris (réduction de voile) au départ, erreur du capitaine, et c’est dans la soufflante à 30-35 nœuds de vent apparent (ce que subit le bateau : combinaison géométrique entre le vent réel et le vent « vitesse du bateau » : 10-12 vent arrière) que cette réduction de voile s’est faite difficilement. Nous rattrapons au départ ce joli trois mât (ci dessus) dans une mer agitée.
Pendant la mise en place de la première bosse de ris une latte sort de son gousset, on la récupère, mais une deuxième latte (sortie aussi sans qu’on le voit) se brise sur les barres de flèche. La première bosse de ris est impossible à prendre, de même la deuxième (sac de nœuds à l’entrée de la bôme). Je mets le bateau à sec de grande voile, et ajoute la voile tempête en ciseaux avec le foc (ci contre). On avance quand même à 6/7 nœuds.
Trois jours plus tard, nous remettons toute la grande voile (un peu moins performante avec ses deux lattes en moins) et enlevons la voile tempête. Les Grib ne nous annoncent que 20 nœud. Mais quelques jours plus tard, le vent forcissant un peu plus que prévu, nous subissons une série de rafales qui provoquent une série de ruptures. L’écoute de grand-voile rompt, suivi juste après par la retenue de bôme, et la retenue d’écoute de foc (qui sert de tangon) pour éloigner le point d’écoute du foc, en vent arrière.
Le bruit est impressionnant, la grande voile est plaquée contre les barres de flèche, le foc bat. En reprenant la main à « Maurice », en bordant le foc et en mettant le bateau au près, j’arrive à faire un montage qui reprend la bôme sur mes taquets arrière.
Maurice, c’est le nom que nous avons donné au pilote automatique nouvelle génération (Raymarine évolution). Il ne nous a jamais lâché et la navigation devient plaisir à se laisser conduire par lui.
Il reste aux marins du bord, pendant leur quart, à surveiller les bateaux et la direction du vent pour donner à Maurice le bon cap pour le fragile équilibre, voiles en ciseaux, entre l’empannage (le vent passe derrière la voile et ça fait drôle : bruit et possibles casses !), et le vent à contre du foc, et ça arrête le bateau.
Bon, plus de peur que de mal. Je trouve une autre écoute parmi mes bouts de réserve.
Je rétablis l’état initial d’un gréement confortable et efficace. Je devrai quand même faire les frais d’une nouvelle écoute de grande voile à Saint Martin. En plus d’une balancine dont l’âme est à nue sur une partie centrale.
Les quarts sont décidés ensemble et tout le trajet se fait avec les mêmes quarts (rythme personnel qui se cale au bout de quelques jours). Par couple 5h de suite et 2h30 pour Etienne, pour le jour comme pour la nuit, et ça convient à tout le monde. 20h-01h, 01h-3h30, 3h30-8h30, 8h30-13h30, 13h30-16h, 16h-20h … voguez jeunesse !
A droite la première page du cahier de bord. dessinée par Laura ; c'est un de mes cadeaux de Noël de sa part. Chacun a fait deux cadeau à deux personnes tirées au sort ... sympa avec les moyens du bord.
Tous les jours nous faisons marcher une heure le dessalinisateur pour assurer l’eau à boire et la même pour se laver. Ça fonctionne impec même si le débit est inférieur à ce qui était prévu (45 l/h au lieu de 55). Ceci à cause du mécanicien Taher d’Houmt Souk qui m’avait fait une grosse bêtise au montage. À terme lorsque j’aurai mis en parallèle mes batteries LIFEPO4, je pense que je n’aurai plus à mettre mes moteurs pour assurer le fonctionnement du déssal. Seul le soleil, via les panneaux solaires, y pourvoira, comme avant.
En ce qui concerne mes batteries LIFEPO4 (Lithium, Fer, Phosphate), il s’agit de la dernière génération haute performance et sans risque explosif. J’ai réussi à régler mes régulateurs de panneaux solaires pour que les conditions de charge (prévues initialement pour des batteries plomb-acide) leur conviennent complètement (charge à 14.6 V, et pas de charge d’entretien ou floating). J’ai pu vérifier que mon chargeur de quai pouvait aussi se régler de la même façon. C’est là que l’on est satisfait d’avoir initialement choisi du bon matériel. Cela faisait 4 mois que je fouillais sans cesse sur internet pour m’assurer que je n’allais pas fusilier trop vite ces bonnes batteries chinoises. Il reste à vérifier pour la charge via les alternateurs, et peut-être installer un régulateur spécifique. Mais pour l’instant, c’est tout bon depuis cette récente intervention. Youpi la boum !
A un ou deux jours de l’arrivée, nous sommes le 01 janvier 2018 (BONNE ANNÉE À MES LECTEURS), le Grib ne prévoit pas de vent supérieur à 13 Nds, je choisis de mettre mon beau gennaker tout neuf. Cela se fait sans précipitation (car j’en ai déjà « flingué » un il y a 5 ans !) avec quelques difficultés de débutant, mais le résultat est là. On a bien sûr enlevé la grande voile qui risquait de déventer ce gennaker, et mis le foc en ciseau. Juste arrivée dans la baie nous mettons tout à sec de voile et les moteurs nous emmènent jusqu’à notre premier mouillage de rêve.
VIE à BORD
Il n’y a pas photo, si, celle-là … pour assurer que l’ambiance à bord fut très bonne pendant ces trois semaines.
Les rythmes de vie et les quarts s’organisent autour de quelques rituels.
Le matin c’est Simonie, qui, à 6 h, réveille le capitaine pour son quart. Un petit tour dehors, tout va bien. 4 petits biscuits et un carré de chocolat (c’est la ration qui fera durer le plaisir jusqu’au bout), et un petit tour sur le téléphone portable, sur lequel nous recevons les messages de mes amis, et ceux de Simonie, grâce à Iridium go.
C’est du bonheur de garder ainsi de bons contacts en permanence. Surtout qu’on a tout le temps pour répondre.
Puis, il y a les lignes à mettre. Au début je laisse faire Tristan lors de son quart de 08h30, mais au lever du jour, il ne faut pas manquer les occasions. Alors vers la fin, je les mets à mon quart de 6h30.
Au total, sur l’Atlantique 7 dorades coryphènes, une carangue, un thon, et une bonite. Juste ce qu’il faut pour alterner avec jambon cru, saucissons en direct de l’Espagne, omelette … fromages de chèvre et légumes-fruits jusqu’au bout du voyage. À mi-parcours, un comptage précis des victuailles a permis une répartition journalière équilibrée.
Il faut dire aussi qu’il y a deux végétariens à bord (surtout Laura et Etienne), seuls Simonie, Tristan et le capitaine mangent poissons et charcuterie.
Laura inaugure les crêpes, Etienne suit à deux reprises. La barre est hautement placée, car c’est un régal de finesse et de goût. In fine Simonie nous régale à son tour pour le réveillon du 31.
Les temps de lecture sont importants, surtout pour nos deux femmes à bord.
Ici Laura à la barre et Simonie en grand confort dans leur activité préférée ...
Le capitaine inaugure le pain, et chacun des marins fait son expérience d’apprenti boulanger. On a la farine en suffisance pour ne jamais manquer. Et même beaucoup de bonheur à goûter les inventions d’une partie fantaisiste avec pain aux olives, saucissons, à l’ail, au chocolat …
À chaque fois la mise au four se fait vers 18h. je ne vous dis pas le régal quand ça sort tout chaud du four !
Un autre rituel c’est le petit goûter de quatre heure suivi d’une séance « tripot » jusqu’au diner. Can’t stop, Whist, qwirkle, … et de temps en temps Échec pour Tristan et Etienne.
Les dauphins nous rendent visite à trois ou quatre reprises. C'est la liesse générale à chaque fois et nous avons droit à quelques cabrioles difficiles à saisir sur le vif. Mais plein les yeux à chaque fois !
Simonie est notre photographe la plus assidue !
On rigole bien ! Pendant ce temps-là, Maurice barre, et le marin de quart surveille les bateaux qui pourrait entrer en collision … que l’on ne voit jamais sinon quelques rares de loin.
Etienne semble sérieux et intéressé pour progresser dans la langue espagnole, entre coupé de ses entraînements ukulélé ou bronzette lézardé sur le pont.
Ici Etienne agrémente un tatouage original de Tristan.
Il y a aussi les moments pour consulter les Grib (c’est Tristan qui les charge sur son ordi à partir d’iridium go) et planifier les déplacements du bateau.
Les photos s’échangent entre appareils et c’est suivi par le tri des photos et la rédaction de ces pages de blog.
Le capitaine (avec l'aide active de Tristan) doit aussi intervenir tous les jours pour de menues réparations (poignée de porte qui tombe, placard qui ne ferme plus, aménagements prévus mais pas encore réalisés, surveillance des moteurs et intervention d’entretien, pompes qui se bouchent etc, etc, etc … tous les capitaines de bateau savent que l’on ne s’ennuie jamais à bord !
Il y a aussi les ablutions sur la jupe arrière tribord où est installée une douchette extérieure.
A quatre reprises nous avons arrêté le bateau (mise en panne, avec foc à contre) pour une baignade grand bonheur avec 4000 m sous les pieds.
Vie simple, paisible, sans soucis, dans une navigation au ¾ devenue tranquille et toujours les Alizés qui nous poussent jusqu’au bout. C’est l’image que j’en avais.
« Vive l’Amour, vive la Mer » comme on dit quand on trinque à chaque fois.